Les Impatientes, de Djaïli Amadou Amal - Prix Goncourt des Lycéens 2020 - 978-490155255 - 7,90 € - Roman
Cameroun, région du Nord : trois femmes, trois mariages, un destin. Ramla a dix-sept ans et est contrainte par son père d’abandonner ses études pour épouser un homme d’une cinquantaine d’années. Elle pense que sa cousine Hindou a plus de chance qu’elle, car son fiancé Moubarak n’a que vingt-deux ans, et n’est pas laid, loin de là. Mais elle a tort, car Hindou sait de quoi est fait son cousin et n’importe quel destin serait meilleur pour elle que d’être donnée en mariage à lui. Safira, âgée de trente-cinq ans, était la première et unique épouse d’Alhadji Issa, l’homme le plus important de la ville, depuis vingt-deux ans. Jusqu’au jour où Ramla entre chez lui en tant que « coépouse » et que ses yeux se mettent à briller de jalousie.
Pour aucun d’entre eux, il n’existe d’issue, de voie différente qui ne les condamne pas instantanément à la désapprobation sociale, au pilori public. L’unique antidote à la souffrance, à la violation, l’unique solution qui leur est indiquée, le creux continu de leurs existences interrompues, est la patience, au nom d’Allah. La capacité illimitée de se soumettre, de se cacher, d’accepter de bon gré, sans un cri, un gémissement, une plainte. C’est dans ce test que réside la valeur d’une femme, c’est sur cette échelle que se mesure sa vertu. Grâce à la patience, on peut survivre. Grâce à la patience de tant de personnes comme eux, tout un système social peut survivre.
Avec ce roman polyphonique, Djaïli Amadou Amal nous replonge dans un univers submergé, tribal, où la féminité n’a aucun droit et où la relation entre les sexes est basée sur l’arrogance. Elle dissèque et réduit à l’os les mécanismes d’une culture patriarcale destinée à écraser les femmes, nous montrant les dégâts irréparables qu’elle produit, sa violence intrinsèque. Une violence à laquelle les femmes se condamnent elles-mêmes, lorsqu’elles renoncent à leurs rêves pour embrasser leurs devoirs, apprenant à leurs filles à faire de même. Ainsi, Amal nous apprend à regarder avec méfiance, toujours et partout, ceux qui nous demandent d' »être patients » à tout prix, nous mettant en garde contre la menace insidieuse qui se cache dans cette invitation.
Critique Les impatientes
« Les impatientes » raconte l’histoire croisée de trois épouses d’origine peule, dont la vie est sans cesse marquée par le patriarcat, la polygamie, l’absence de droits et d’éducation, résultat de traditions islamiques et tribales encore vivantes même au troisième millénaire. Mais le mot d’ordre est avant tout « Munyal » – la patience – répété sans cesse à toutes les adolescentes qui font leurs premiers pas de femmes mariées.
« Munyal » est en fait ce que l’on exige – naturellement, sans aucun doute – de chaque femme. La patience de supporter le mari choisi pour elle, la patience de supporter son harcèlement, la patience de le partager avec une autre épouse polygame, la patience de ne pas pouvoir s’éduquer et poursuivre son épanouissement personnel. Le monde peule est gouverné par des hommes – qu’ils soient pères, frères ou maris – qui sont considérés comme culturellement, socialement et juridiquement supérieurs à leurs homologues féminins, mais qui se révèlent être abjects, capricieux, hautains, pleins de vices et pauvres en vertus.
Le roman est beau et atroce, introspectif et dramatiquement révélateur. La trame narrative est savamment orchestrée par la langue française élégante, raffinée et profondément émotionnelle de l’auteur Djaili Amadou Amal, elle-même mariée à 17 ans mais capable de se rebeller et de s’échapper.
« Les impatientes » est un roman qui se lit d’une traite et qui devrait renforcer encore plus le combat pour l’égalité entre les sexes, pour la fin des violences sexistes, pour l’égalité des chances.
Un beau livre, désespérant. Chroniqué sur mon blog.